Robert Lepage et Marie Michaud dans une scène du Dragon bleu
Photo Louise Leblanc, Le Devoir
Chez Geneviève Brouillette, un soir de février 1987, Yvan Ponton, notre professeur d'impro et arbitre émérite de la LNI , avait convié notre classe en interprétation de l'Option théâtre de Saint-Hyacinthe pour nous présenter un extrait vidéo de ce qu'il considérait comme la meilleure improvisation à vie dont il avait été témoin: l'impro solo de 9 minutes de Robert Lepage intitulée New York : Réalité et Illusion.
Une impro comparée avec un nombre de joueurs illimités, Lepage avait été égal à lui-même : génial.
Lepage nous entraînait dans les bas-fonds de la ville, y incarnant tour à tour la Statue de la Liberté et plusieurs autres symboles de la Grosse Pomme. « Magique », cette impro, «silence recueilli», l'atmosphère dans le salon de la rue Des Cascades.
Ce n'était pas la première fois que je voyais Lepage sur scène. J'avais eu la chance de le voir jouer Vinci dans le cadre de l'exposition du même nom présentée à Montréal. Son nom était sur toutes les lèvres, et tous lui promettaient déjà une grande carrière.
Vinci fut pour moi un choc.
Un théâtre, un one man show, qui nous faisait vibrer par la forme et le fond: des dialogues parlés simplement mais d'une force enchanteresse, des images fortes, comme celle où Lepage sort de la douche enrobé d'une serviette, fait sa toilette et se met de la crème à barbe d'un côté du visage. Lepage se retourne, et nous voyons apparaître Vinci dans sa toge: l'image de Vinci est sculptée sur la moitié du visage de Lepage. Pivotant, il offre un dialogue entre le comédien et le peintre.
Lepage a depuis créé et interprété d’autres spectacles, des films aussi, mais c’est sur scène qu’il a toujours réussi à faire naître le sublime de l'ordinaire. Il met l'accent sur des tranches de vie somme toute souvent banales, tout en les rendant magnifiques et universelles. Il sait créer l'intimisme avec le timbre de sa voix enjôleuse et ses scénographies éclatées et uniques.
Avec un Lepage seul sur scène, le public se sent plus nombreux, plus vivant.
Jeudi dernier, j'ai assisté à la première montréalaise du Dragon bleu.
Un spectacle rempli de clins d'oeil et une belle réflexion sur la Chine émergée du XXIe siècle.
Trois comédiens sur scène: une représentation intéressante de la Chine, du Canada et du Québec. Pas un spectacle didactique, à priori, mais une autre leçon d'actualité belle et émouvante du grand maître qu'est Lepage. Marie Michaud est excellente de même que la pluridisciplinaire Tai Wei Foo. Les fans de Tintin se réjouiront de la scénographie.
Bien sûr, toute une équipe a accompagné Lepage dans l'élaboration de l'oeuvre, mais c'est toujours lui le Grand Timonier de ses productions.
Le meilleur spectacle de Robert Lepage? Je n'oserai pas un avis là-dessus mais, chose certaine, c'est un «moment Lepage » à ne pas manquer.
Je commets un crime de lèse-majesté en vous communiquant ce lien, car la bande-annonce du Centre National des Arts, où la pièce fut présentée en mars, ne rend pas justice à l'oeuvre, mais comme certains d'entre vous n’auront pas la chance de voir ce grand moment de théâtre, je vous l'offre (non, mais, chus tu fin un peu?).