lundi, avril 27, 2009

Lepage - Grand Timonier de New York à Shangai

Robert Lepage et Marie Michaud dans une scène du Dragon bleu
Photo Louise Leblanc, Le Devoir



Chez Geneviève Brouillette, un soir de février 1987, Yvan Ponton, notre professeur d'impro et arbitre émérite de la LNI , avait convié notre classe en interprétation de l'Option théâtre de Saint-Hyacinthe pour nous présenter un extrait vidéo de ce qu'il considérait comme la meilleure improvisation à vie dont il avait été témoin: l'impro solo de 9 minutes de Robert Lepage intitulée New York : Réalité et Illusion.

Une impro comparée avec un nombre de joueurs illimités, Lepage avait été égal à lui-même : génial.

Lepage nous entraînait dans les bas-fonds de la ville, y incarnant tour à tour la Statue de la Liberté et plusieurs autres symboles de la Grosse Pomme. « Magique », cette impro, «silence recueilli», l'atmosphère dans le salon de la rue Des Cascades.

Ce n'était pas la première fois que je voyais Lepage sur scène. J'avais eu la chance de le voir jouer Vinci dans le cadre de l'exposition du même nom présentée à Montréal. Son nom était sur toutes les lèvres, et tous lui promettaient déjà une grande carrière.

Vinci fut pour moi un choc.

Un théâtre, un one man show, qui nous faisait vibrer par la forme et le fond: des dialogues parlés simplement mais d'une force enchanteresse, des images fortes, comme celle où Lepage sort de la douche enrobé d'une serviette, fait sa toilette et se met de la crème à barbe d'un côté du visage. Lepage se retourne, et nous voyons apparaître Vinci dans sa toge: l'image de Vinci est sculptée sur la moitié du visage de Lepage. Pivotant, il offre un dialogue entre le comédien et le peintre.

Lepage a depuis créé et interprété d’autres spectacles, des films aussi, mais c’est sur scène qu’il a toujours réussi à faire naître le sublime de l'ordinaire. Il met l'accent sur des tranches de vie somme toute souvent banales, tout en les rendant magnifiques et universelles. Il sait créer l'intimisme avec le timbre de sa voix enjôleuse et ses scénographies éclatées et uniques.

Avec un Lepage seul sur scène, le public se sent plus nombreux, plus vivant.

Jeudi dernier, j'ai assisté à la première montréalaise du Dragon bleu.

Un spectacle rempli de clins d'oeil et une belle réflexion sur la Chine émergée du XXIe siècle.

Trois comédiens sur scène: une représentation intéressante de la Chine, du Canada et du Québec. Pas un spectacle didactique, à priori, mais une autre leçon d'actualité belle et émouvante du grand maître qu'est Lepage. Marie Michaud est excellente de même que la pluridisciplinaire Tai Wei Foo. Les fans de Tintin se réjouiront de la scénographie.

Bien sûr, toute une équipe a accompagné Lepage dans l'élaboration de l'oeuvre, mais c'est toujours lui le Grand Timonier de ses productions.

Le meilleur spectacle de Robert Lepage? Je n'oserai pas un avis là-dessus mais, chose certaine, c'est un «moment Lepage » à ne pas manquer.

Je commets un crime de lèse-majesté en vous communiquant ce lien, car la bande-annonce du Centre National des Arts, où la pièce fut présentée en mars, ne rend pas justice à l'oeuvre, mais comme certains d'entre vous n’auront pas la chance de voir ce grand moment de théâtre, je vous l'offre (non, mais, chus tu fin un peu?).


mardi, avril 07, 2009

Les journalistes ont peur et ils ont raison.


Les journalistes ont peur et ils ont raison.

Il y a quelques années, l’infomaniaque Jean-René Dufort s’était fait retirer sa carte de la Fédération Professionnelle des Journalistes du Québec parce qu’on ne le trouvait pas assez sérieux et crédible. Le malaise s’amplifiait dans la communauté journalistique devant l’importance que prenait l’infotainment. De penser que la nouvelle pouvait être traitée différemment et avec une certaine « complaisance humoristique » hérissait les journalistes de l’écrit et de l’électronique.

Il s’agissait d’une menace claire aux formes de journalisme établies depuis des lustres et surtout à leur crédibilité.

Quelques années plus tard, voilà que l’éclatement de l’imprimé se confirme, que la multiplication des chaînes câblées étrangle les chaînes généralistes et que l’Internet est, comme prévu, le chef de file en livraison de nouvelles.

Les journalistes, eux?

Ils sont devenus ce qu’ils craignaient : Une quantité négligeable dans une mer d’information. Bien sûr , la crédibilité des grands journaux et des grands réseaux permet une meilleure transition des journalistes vers le net. Il en va de même pour les éditorialistes et chroniqueurs faisant partie dans grands diffuseurs, mais l’impact de leur travail sur la société s’amenuise grandement car, avec la blogosphère et toutes les sources formelles et informelles d’information, il faut faire des choix de lecture et certaines plumes de talent s’en trouvent pénalisées. Aussi, le multiplication des moyens de diffusion des contenus diminue le besoin de journalistes pour chacun des médias. Les grands diffuseurs se foutent de plus en plus de la qualité du travail des gens de l’écrit car ils ne sont plus les vedettes de l’info mais ce qu’il faut pour couvrir des vedettes. Ils remplissent des pages et des écrans avec les mêmes topos…mais avec différents annonceurs.

Et les blogues?

Une pollution intellectuelle inutile nuisant aux journalistes de métier? Bien sûr que non. Tous les médias traditionnels ont envahi depuis belle lurette le paysage en imposant à leurs journalistes la blogosphère. Le problème c’est que ces blogues sont des articles déguisés qui continuent à faire partie de l’empire de presse d’où ils viennent…et le bon peuple commente en se croyant vraiment «dans’l coup». Mais comme les revenus publicitaires du web sont vus comme le futur de l’écrit pour les grands groupes, cette fausse démocratie va se poursuivre en s’accélérant. Et avec Facebook, Twitter et cie, les futurs adultes consommateurs d’information seront vraisemblablement plus attachés au contenant qu’au contenu. Ces réseaux où l’acte de publier une photo d’un sandwich est un geste de communication ont pour effet de banaliser la publication d’une réflexion ou même d’une œuvre. Même chose pour la musique gratuite sur MySpace ou le présent blogue où je suis en train d’écrire et vous, de lire.

Vous lisez en fait une simple publicité pour Blogger, Google en fait, qui me permet de m’exprimer «gratuitement» en me faisant croire que mon opinion compte vraiment dans une marée de millions d’utilisateurs.

Plus que jamais, le « médium c’est le message» de Macluhan est notre réalité et la publication d’une photo d’un sandwich un acte de communication.

Les journalistes ont peur et il ont raison, l’exposition de leurs idées et de leur travail est de plus en plus diluée et accessoire dans le monde dans lequel on vit. Les rumeurs du web vont devenir la réalité et prendre le pas sur une enquête ou un reportage bien ficelé.
Parlez-en aux journalistes du Journal de Montréal/ Rue Frontenac qui ont été lâchement mis en Lock Out. Le Journal de Montréal est toujours publié grâce aux annonceurs, aux chroniqueurs comme ce « planétaire de bonté et d’égalité sociale qu’est Richard Martineau » et au bon peuple qui se fout de la qualité du journal qu’il saupoudre de jus de Big Mac après avoir lu le 24 Heures dans le métro.

Dans un tel contexte, que penser de l’avenir des conditions de travail des journalistes?

Et Jean-René Dufort là-dedans?

Diffusé à heure de grande écoute, il est plus pertinent que jamais parce qu’il nous montre l’envers du décor rarement présenté, parce qu’il brise les conventions établies entre le journaliste et ses sources tout en ayant accès aux mêmes conférences et de presses et événements que les autres journalistes. Il offre vraiment une couverture différente.

"Seuls les plus petits secrets ont besoin d'être protégés. Les plus gros sont gardés par l'incrédulité publique." Marshall Macluhan